Lieux à vivre : l’entraide mutuelle.
Ces quelques semaines de confinement des résidents du Mas ont mis en lumière une dimension essentielle au projet des lieux à vivre : l’entraide mutuelle. Cette façon de faire ensemble développe de manière particulière des liens sociaux qui tissent un collectif de vie original. Adopter l’entraide mutuelle comme principe de construction d’une communauté humaine suppose une forme d’humanisme qui se caractérise par des repères qui balisent ce chemin de vie si particulier.
Le premier repère est une question de foi dans le compagnonnage. Celle de croire que dans la réalisation de projet, dans la résolution de difficulté, dans la construction d’une communauté de bien-être et de bienveillance pour tous, chaque personne est indispensable : nous avons tous besoin des uns et des autres. « Une autre manière de coexister. Ou chacun tient sa place pour que l’autre puisse en faire autant » [1]. Ce temps de confinement a permis de vérifier la solidité des liens de coopération et d’entraide créée par cet acte de foi que l’on qualifie de « compagnonnage ».
Alors qu’une partie des salariés et des bénévoles ne pouvaient plus intervenir dans l’organisation de la vie du mas, les résidents ont pris en charge les différentes activités nécessaires au fonctionnement de la communauté. Ainsi une coopération étroite, en partage de responsabilités s’est mise en œuvre entre l’équipe de salariés restreinte et tous ceux qui habitent le Mas.
Le deuxième repère concerne la notion « d’habiter » [2]. Dans le projet lieu à vivre il est demandé à tous les participants (résidents, bénévoles et salariés) d’habiter le lieu comme un espace pour se construire soi-même et de rencontre avec les autres. Mais une condition est cependant nécessaire à cette manière d’habiter : le temps donné à chacun pour trouver sa place, se sentir en sécurité, exprimer ses capacités… « Donner du temps et tout le temps nécessaire est un de nos choix fondamentaux ». La réactivité de la communauté dans sa réponse aux conditions imposées par le confinement est la vérification que la maison Mas de Carles est bien commune à tous et habitée par tous… et que l’entraide entre tous est à l’œuvre.
Le troisième repère est contenu dans le mot « activités » [3]. Dans les lieux à vivre le temps de l’activité est fondamental. Il permet l’expression de l’utilité sociale et économique de chacun au projet. Même ceux qui sont « empêtrés » dans des addictions ou supporte une condition physique réduite peuvent exprimer leur part d’utilité à la communauté et à la réalisation du projet. A travers la participation aux différentes activités, il est aussi question d’une dignité retrouvée, d’hommes et de femmes debout, d’attachement à la terre que l’on cultive, à l’environnement que l’on entretient et que l’on embellit. L’activité est source de formation et de réalisation concrète de l’entraide mutuelle et de coopération en partage de compétences et de responsabilités.
L’activité de la ferme ne s’est pas arrêtée, ni la commercialisation des produits, livrés à domicile, pour le plaisir de tous ceux qui étaient confinés chez eux. La vie a continué grâce à l’activité, là où la peur de la maladie aurait laissé reclus et pétris d’angoisse les plus fragiles de nos compagnons.
En tout cela, le projet « lieu à vivre » sort des sentiers battus de la solidarité, de la charité, du secours où l’aide est portée à ceux qui en ont besoins par ceux qui se situent en surplomb : les « bienfaiteurs », les « généreux », les « donateurs », les « solidaires », « les techniciens du social », « les initiateurs des politiques sociales publiques »… tous ceux qui apportent ou conçoivent le soutien aux plus démunis depuis une position qui marque la différence entre les statuts sociaux et parfois la frontière entre eux. Alors qu’une des idées clé des lieux à vivre est l’affirmation « de l’unité de l’humanité dans l’espace et le temps » [4]. En cela notre projet s’oppose à toute forme de racisme et de castes, au rejet et à l’intégration sociale forcée des soi-disant « anormaux », au mépris de l’étranger, généralement, à la fabrication des réprouvés : un homme même différent, même dévalorisé, même avili, reste un homme à qui nous devons permettre de poursuivre une vie d’homme dans une proposition de vivre ensemble qui lui convient. Habiter un lieu à vivre est une possibilité offerte à tous ceux qui la trouvent adaptée à leur présent.
Jacques Vivent