Un instant, ce matin-là. Le ciel est rouge. Un instant encore, tout est rendu à l’ordinaire. Magie du moment. Regret de ne pouvoir fixer cela. Bonheur d’un petit secret partagé, sans autre conséquence que la mesure de la fugacité. Le micocoulier, dans la cour, ruisselle de l’eau en suspension dans la brume matinale. Ailleurs, le Covid court de plus belle dans notre petit coin de campagne. Demandez à Stéphane, Pierrette, à Hélène, Franky, Jésus…
Une histoire très ordinaire. Un contrat d’accompagnement est passé avec certains, en délicatesse avec la gestion de leur argent. Avec leur accord. Bien sûr cela n’empêche pas de tenter de passer entre les mailles de cet accord. D’autant que certains bénévoles ne savent pas comment résister à l’insistance de Pierre ou Paul (pour ne dénoncer personne). Ainsi l’autre soir, l’un deux à remis à un de ceux-là argent et carte bleue ! Résultat assuré. L’homme n’avait pas besoin de cela pour se faire la malle… Le lendemain dimanche, on en cause au petit déjeuner. Les résidents soumis à ce régime s’étonnent de la faiblesse du bénévole… et reconnaissent l’efficacité de la contrainte pour eux, même s’ils n’hésiteront pas à tenter leur chance un jour de grande déprime… Retour à Albert Camus : « Cormery avait crié : Un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon…”. Et puis il s’était calmé. “Moi, avait-il dit, d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche. » 1 Un long chemin à méditer !
1 Albert Camus, Le premier homme.
Peut-être cette invitation est-elle trop difficile pour quelques-uns ? Demeure, pour l’instant, la grande interrogation sur cette difficulté à se stabiliser qui semble le repère prégnant de la vie de certains. Malgré une place dans la maison. Malgré une attention claire à leur égard. Malgré le souci des copains quand tout à coup leur place se vide. Malgré un boulot décroché. Incompréhension de beaucoup. Qu’est-ce donc qui est si fort pour que la seule issue semble être la fuite ? L’argent ? Mais cela ne dure jamais et se transforme rapidement en dette abyssale ! Un cœur mal aimant parce que trop mal aimé qui a conduit à la rue ? Cette béance-là nous blesse autant qu’elle les maltraite. François Cheng :
«Consens à la brisure, c’est là / Que germera ton trop-plein / De crève-cœur, que passera / Un jour, hors de l’attente, la brise. » 2
2 François Cheng, Enfin le Royaume, nrf Poésie/Gallimard, 2019, p. 50.
Il n’y a pas de raison : les pauvres mangent, aussi. C’est même le commencement d’un lien fort à la communauté. Et comme pour tout un chacun cela coute de plus en plus cher. Quelques chiffres donnés par le « chef », en cuisine : volailles + 22% ; viande rouge : + 17% ; produits d’entretien : +15% ; poisson, fromage râpé et filets de poulet : + 14% ; crémerie et steak haché : + 13%. Sans compter la dénonciation de mercuriales (passées en août, dénoncées en janvier). Déjà les restrictions ont commencé et un meilleur approvisionnement auprès de la Banque Alimentaire réétudié, un autre négocié avec PromoCash nous allège d’autant. Faut-il parler de l’électricité et du gaz ?
L’habitude dans la maison est de préparer un plat pour les musulmans quand le plat principal n’est pas adapté à leurs règles alimentaires. Par respect pour leur foi. Régulièrement, avant même qu’ils se soient servis, ils se font subtiliser leur plat. Etonnement et plainte. Justifiés. Comment prétendre vivre en communauté (de vie et de destin) en voulant se nourrir sur le dos des autres de leur nourriture ? En privant les autres de leur dû ? Les apprentissages du respect et de la vie commune ne sont jamais réellement terminés. Et faire toute sa place à l’autre en fait partie : « Qu’est-ce qui nous reste ? Ceci : que nous soyons humains envers les humains ; qu’entre nous demeure l’entre-nous qui nous fait homme… » 3
3 Maurice Bellet, Incipit ou le commencement.
Ça va devenir compliqué ! Il y avait le renard, les rats et la fouine. Ils laissaient derrière eux des traces : plumes, sang, bêtes mortes saignées ou décapitées. Et maintenant même les poussins disparaissent. Mais sans laisser de traces. Ni le renard, ni la fouine, ni le rat, donc ! Trois cents poussins ont ainsi disparu d’un coup, sans une plume, ni une trace de sang nulle part. Quoi ou qui donc ?
Et ce n’est pas tout : fromages, yaourts, côtelettes de porc, plats de couscous : à la cuisine, c’est comme une hémorragie, dont il se murmure qu’elle se produirait plutôt en fin de semaine. Comme un goût de pillage en règle… « Quoi », on sait donc de mieux en mieux… mais « qui » reste encore un mystère à décrypter. Dommage. Les surplus de l’aide alimentaire de la banque alimentaire (deux fois par semaine)permettaient d’aider trois anciens résidents et une mère de famille monoparentale (avec deux filles) participant à l’atelier pâtisserie le vendredi après-midi en lien avec Totout’Arts. Ces récents pillages mettent sérieusement en question ces aides. Qui peut oublier que « solidarité » s’écrit aussi avec les mots et les gestes de la résistance à nos envies de prédation. « Moi d’abord » en est l’antithèse.
C’est notre spécialiste. Il est diplômé en arboriculture (un BEPA dans le cadre de la Validation des Acquis de l’Expérience). Il accompagne volontiers les nouveaux dans leur apprentissage de l’olivier (taille, entretien et ramassage), après avoir suivi la croissance des arbres toute l’année. Au terme, il annonce que c’est 1.811 kg de belles olives qui ont été ramassées et 301 litres d’huile qui seront proposées à la vente. Merci à Alain et à celles et ceux qui ont participé à ce travail. Et merci au moulin « bio » Le Paradis (à Saint Maximin, non loin d’Uzès) d’avoir accueilli et transformé notre production.
Joël B. (qui propose cet alinéa) et un groupe de volontaires du Mas sont allés témoigner au Lycée Saint Joseph à Avignon, pour la quatrième année consécutive. Le thème était les préjugés, les inégalités sociales, les accidents de la vie et l’accueil de la différence. Invitation pour les élèves à se laisser secouer pour sortir de leur zone de confort ; à se mettre à l’écoute des chemins qui peuvent mener à Carles et les bénéfices que certains trouvent à en tirer. Expérience enrichissante et bel échange entre tous. Pour conclure, les jeunes et le lycée nous ont partagé (grâce à Carine, une animatrice) de nombreuses pâtisseries.
PS : depuis Joël a fait un infarctus : hôpital, stent, repos et un autre séjour annoncé à l‘hôpital pour que le médecin finisse son travail de réparation. Joël lui conserve son sourire.
Et puis ce fut Noël et les fêtes de fin d’année. L’occasion de nous redire ensemble, avec l’échange des cadeaux et de nos vœux solidaires pour une paix partagée entre tous, que « ce que tu donnes trace une voie Te menant plus loin que tes pas » (F. Cheng). C’est aussi le souhait que nous voulons partager avec vous tous, amis lecteurs de cette lettre.
A Manissy
* A la demande de Patrick, une formation pour les gens de Carles s’est déroulée à Manissy. Il s’agissait de se pencher sur les conditions de réalisation de l’abattage (des poulets, principalement) : respect des normes et du bien-être animal. Deux salariés, deux bénévoles, deux résidents et deux hommes du chantier composaient la petite troupe sur quatre journées.
* Pendant ce temps, Karim, Bertrand et Jean-Noël sont venus soutenir Camel et Jo pour une grande séance d’abattage de platanes très peu en forme. Un gros travail de deux journées, minutieux, qui s’est déroulé dans une ambiance très sympa.
* A l’intérieur du bâtiment, nous poursuivons, à notre rythme, la mise en sécurité de la maison et de ses occupants. Ce trimestre ce fut la pose de « blocs sécurité » dans les couloirs et les escaliers ; et la remise en état de la chapelle extérieure dont les murs attendent maintenant la peinture que Pierre Cayol, peintre à Tavel, se propose de réaliser pour mettre en valeur ce petit bâtiment construit vers 1830.
* Prochaine étape des aménagements : les extincteurs, les alarmes antifumée dans les chambres, le double vitrage dans le couloir des Pères (pour améliorer l’isolation).
* En toute fin d’année le CA a acté la séparation des Fonds : Mas de Carles (pour l’argent) et Joseph Persat (pour l’immobilier).